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Le poids du secret

  • Photo du rédacteur: Johanna Zazoun
    Johanna Zazoun
  • 27 avr.
  • 6 min de lecture

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Il y a quelques temps je me suis livrée à un jeu d'écriture lors d'un concours organisé par Recyclivre. Il fallait écrire un texte autour du thème du secret et qui faisait entre 500 à 1500 mots maximum. Je vous avoue que ça ne m'a pas été facile du tout mais je suis très satisfaite et fière d'être allée jusqu'au bout. Je vous partage ici mon texte.


L’obscurité les enveloppait, de fines gouttes de pluies tombaient sur le pare-brise, une

tension palpable régnait. Alexandre roulait trop vite, il voulait rentrer chez lui au chaud et libérer la baby-sitter. Il tentait de se convaincre qu’il avait épongé les multiples verres bus au mariage mais une voix intérieure le tourmentait malgré tout en lui soufflant qu’il commettait une erreur. Laurence, assise à ses côtés, fixait la route d’un regard absent, elle accusait le coup d’une soirée bien arrosée. Elle était à moitié assoupie lorsqu’un bruit sourd retentit. La voiture accusa le choc et dévia légèrement de la route. L’impact avait eu l’air minime mais dans le silence assourdissant il revêtait l’allure d’une catastrophe. Alexandre écrasa la pédale de frein et s’arrêta sur le bas-côté. Son cœur battait à tout rompre. Il fixa le rétroviseur. Dans la lumière vacillante des réverbères il entrevit ce qui lui semblait être une forme allongée. Il n’y avait pas assez de lumière dehors pour deviner ce que c’était même s’il était relativement proche de la chose. Elle semblait reposer sur la chaussée mais il n’arrivait pas du tout à définir ce que pouvait être cette forme qui semblait inerte.


— Qu’est-ce que c’était ? demanda Laurence, la voix craintive.

— J’en sais rien... peut-être un animal.

— Il faut s’en assurer, viens on va voir !


Mais Alexandre ne bougea pas. Il pensa à Mael, leur petite fille de quatre ans. Les

interrogations fusaient dans son esprit. Cette forme était-elle vraiment un être humain? Avait-il tué quelqu’un? Qui s’occuperait d’elle s’il allait en prison? Comment payer un avocat? Quel impact sur sa fille? Lui pardonnerait-elle? Était-il un meurtrier? Allait-il vraiment avoir le courage de sortir de cette voiture et de faire face aux conséquences? En à peine une demie minute il voyait l’avenir se profiler devant lui. Il serait déclaré coupable c’est sûr, il avait bu et Laurence serait déclarée coupable pour ne pas avoir pris le volant à sa place. Si quoi que ce soit devait leur arriver Mael leur serait enlevée. Ils n’avaient plus de parents ni famille proche sur laquelle se reposer. Cette relative solitude était agréable quand on a envie de passer Noël tranquille chez soi, de ne pas se disputer pour savoir si c’est l’année des parents ou beaux-parents. Ils en avaient parlé plus d’une fois mais cette tranquillité a un

prix. Personne ne pouvait les seconder, ils avaient des amis bien entendu mais aucun de suffisamment proche d’eux pour prendre soin de leur fille.


— Mael.. se contenta t-il de murmurer.


Laurence sembla comprendre son raisonnement, un éclair de compréhension remplaça la peur dans ses yeux. Elle posa une main tremblante sur la sienne, comme pour lui assurer de son soutien. Elle hocha imperceptiblement la tête. Lentement, Alexandre remit le pied sur l’accélérateur et s’éloigna de la scène.Plus les kilomètres s’enchainaient plus sa respiration se calmait. Il en vint même à se demander si vraiment cela s’était passé. Arrivés à la maison ils libérèrent la babysitter qui avait finit par s’endormir sur le canapé. Ils allèrent voir Mael, elle dormait d’un sommeil profond et calme. On aurait pu entendre une mouche voler dans sa chambre. Ils retournèrent dans le salon, Alexandre s’assit lourdement sur le canapé,

toute force l’ayant quitté.


— Est ce que..? Il n’arrive même pas à articuler une phrase.

— Je ne sais pas ce qui s’est passé, je ne sais pas ce que tu as heurté mais ça se trouve ce n’était rien. Juste un animal sur la route. On était près d’une forêt, ça se pourrait. Chéri je crois qu’on a fait le bon choix. On est des parents, ça ne concerne pas que nous, chacun de nos actes peut avoir des conséquences sur la petite.


Sa voix s’affirmait au fur et à mesure qu’elle prononçait les mots qui arrivaient enfin à calmer Alexandre. Sa femme le soutenait, il avait fait le bon choix. Une bonne nuit, voilà de quoi ils avaient besoin maintenant. Et de mettre cette histoire de côté, on ne pouvait pas revenir en arrière. Le lendemain, la nouvelle tomba comme un coup de massue : une jeune femme de vingt-quatre ans, Paula, avait été retrouvée morte sur la route. Sa voiture avait été identifiée plus loin, à première vue elle avait eu un léger accident et n’avait pas pu la redémarrer. Selon les estimations de la police, elle avait dû sortir pour chercher de l’aide quand elle avait été écrasée. Son portable a été retrouvé sur elle, il était déchargé. Un appel à témoins a été lancé. Laurence et Alexandre échangèrent un regard paniqué au-dessus de leurs téléphones d’où ils lisaient les informations. Maintenant ils savaient ce qu’Alexandre avait écrasé.


Tout aurait pu être parfait, s'il n'y avait pas ce terrible secret. Alexandre et Laurence étaient un couple de rêve. On les enviait pour leur complicité, leur amour inconditionnel et leur bonheur apparent. Ils incarnaient la famille idyllique avec Mael. Cependant tout commença à changer à partir de ce matin là. Les jours qui suivirent furent un cauchemar éveillé. La peur ravageait leurs nuits, l’angoisse

minait leurs jours. Alexandre évitait de croiser le regard de Laurence, leur intimité, leur complicité disparaissaient au fur et à mesure que les jours puis les semaines passaient. Ils maigrirent, devinrent des fantômes dans leur propre maison. Ce n’était pas un simple délit de fuite, c’était un homicide involontaire. Même s’ils n’étaient pas calés en droit ils savaient que quoi qu’il arrive Mael leur serait enlevée et devrait vivre avec le poids des actes de ses parents.


Depuis ce jour, Alexandre et Laurence portaient cette culpabilité avec eux, comme un

fardeau insupportable. Malgré tous leurs efforts pour tourner la page et reconstruire leur vie, ce drame les rongeait de l'intérieur. Ils avaient tué quelqu’un. Ils avaient du sang sur leurs mains. Ils se promettaient de ne jamais en parler, de garder ce secret enfoui au plus profond d'eux-mêmes mais la culpabilité les empêchait d'être vraiment heureux. Leur amour était terni par le poids de leur culpabilité et les nuits étaient hantées par les cauchemars. Leur secret les séparait autant qu'il les unissait.


Deux mois passèrent, Alexandre finit par craquer. Il ne pouvait plus vivre avec cette

culpabilité envahissante. Il prit sa décision : il irait se dénoncer. Afin de protéger Mael, il fit jurer à Laurence de garder le silence sur ce qui s’était passé et même de taire sa présence dans la voiture.


— Tu dois me jurer de tout faire pour la protéger. Dès que je me serai dénoncé il faudra que tu partes loin d’ici. Prends la petite et partez loin. Il ne faut pas que ça entache sa vie. Je ne veux pas qu’elle devienne la fille du meurtrier.

— Mais.. ils sauront que j’étais avec toi. Tout le monde m’a vu au mariage.

— Je dirai que je t’ai déposé à la maison et que je suis retourné à la salle pour récupérer ton sac. Fais moi confiance, juste protège Mael. Je mentirai comme un arracheur de dents si ça permet de vous garder en sécurité.


Arrivé au commissariat il tremblait comme une feuille mais malgré son teint pâle et sa voix chevrotante il arriva à demander à parler à un agent. Il n’en menait pas large mais savait qu’il devait tout faire pour soulager son fardeau tout en protégeant sa famille. L’agent Moreau face à lui l’écouta sans l’interrompre même lorsque sous le coup de l’émotion il perdait ses mots. Il finit par hausser un sourcil, pianota sur son ordinateur puis consulta le dossier lié à l’accident. Une drôle d’expression se dessina sur son visage.


— Monsieur, l’affaire Paula est close. Nous avons arrêté le coupable. Il a avoué. A vrai dire il s’est rendu de lui-même dès le lendemain de la conférence de presse.

Alexandre pouvait entendre les battements de tambour de son cœur.

— Je...quoi ? Mais... j’ai percuté quelque chose cette nuit-là !

L’agent reporta son attention sur son écran d’ordinateur.

— Vous avez sans doute heurté un animal. Nous avons trouvé un chevreuil mort quelques kilomètres plus loin... sur la même route.

Le choc fut violent. Avec une voix blanche Alexandre prit congé de l’agent qui, il faut le dire n’en rajouta pas à son état même s’il aurait pu lui rappeler les règles de base de conduite. Quand Alexandre arriva à sa voiture il réalisa soudainement que le secret qui l’avait consumé et littéralement anéanti n’avait jamais vraiment existé.

Il était innocent, il n’avait tué personne. Lui et Laurence s’étaient enfermés dans une prison invisible dont ils avaient eux-mêmes érigé les barreaux. Quand il arriva chez lui, il trouva sa femme assise sur le sol, les bras autour de ses genoux, elle se balançait d’avant en arrière, le regard mort. Il lui raconta tout. Elle ferma les yeux un

instant, puis un gémissement terrible jaillit de sa gorge. Il incarnait le soulagement mais aussi la douleur. Celle d’avoir porté un fardeau qui n’existait pas. Ils avaient vécu un enfer... pour rien.


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