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Cher journal

  • Photo du rédacteur: Johanna Zazoun
    Johanna Zazoun
  • 28 oct. 2018
  • 17 min de lecture

Encore un texte libre, des mots qui me trottaient dans la tête.

Cher journal,

Maman est malade. Maman est à l’hôpital.

Cher journal,

Le cœur de maman a lâché, elle est dans le coma. Quelle attitude adoptée ? Que dois-je dire à mon petit frère ? Et si elle ne s’en sortait pas ? Que dois-je faire ? On m’a poussé dans le grand bain mais je n’y étais pas prête. Mon esprit est confus, je n’arrive qu’à me répéter une seule phrase « elle ne va peut être pas s’en sortir »

Cher journal,

Voilà deux semaines que maman est dans le coma. Contre toute attente j’ai su maîtriser la situation. Je passe mes journées à l’hôpital, je vais chercher mon frère à l’école je lui prépare son repas puis le couche enfin je retourne à l’hôpital y passer la nuit. Heureusement au devant de telles situations il existe des personnes merveilleuses. Ma voisine, une vieille dame charmante, s’occupe de mon frère lorsque je m’absente. Les médecins réservent leur jugement pour le moment. A la terreur initiale se succède à présent l’attente. Nous ignorons totalement si son cerveau a été touché et surtout quand elle ouvrira enfin les yeux. Je n’ai jamais été croyante, j’ignore même si je crois en Dieu. Pourtant on m’incite à aller trouver du réconfort auprès d’un prêtre. Serais-je anormale si je n’y vais pas ? Peut être que ma foi viendra un jour mais pour le moment je ne ressens rien, pas de besoin pressant d’aller me confesser ou d’aller parler à quelqu’un que je jugerais plus apte à me réconforter qu’une amie. Il est vrai que je pourrais trouver intéressante l’idée qu’une puissance supérieure nous gouverne mais je dois dire que je trouve cela un peu facile. « Ce n’est pas ma faute il en a été décidé ainsi ». C’est une bonne façon d’avoir « quelqu’un » sur qui se défouler. Je n’ai pas besoin de ça, je me suis toujours considérée comme une personne sensée et pragmatique. Je n’ai pas de croyances autres que « ce que je vois est la réalité, il n’en est d’autre »

Parfois, me croirais tu si je te le disais cher journal, j’ai l’impression de n’entrer dans aucun moule. Tout le monde semble avoir un but précis dans la vie, moi le mien est de m’occuper de ma famille. En ce moment mes pensées se tournent uniquement vers ce corps relié à des machines.

Cher journal,

Aujourd’hui tout s’est bien passé, maman va beaucoup mieux. Cela fait du bien de voir les sourires revenir sur nos visages. Les médecins sont encore suspicieux mais j’en suis sûre, elle va s’en sortir. Impossible de faire autrement elle a ouvert les yeux, n’est ce pas un signe ? Après ces longues semaines passées dans un long tunnel, nous entrapercevons enfin une lumière. Mais pourquoi s’échinent-ils à détruire tout once d’espoir ? Pour qui se prennent ils avec leurs supposées certitudes et leurs savoirs provenant de livres poussiéreux ? Ils oublient une chose importante : l’amour. Combien d’histoires se terminent sur un happy end ? Cela ne peut être autrement. L’amour que nous portons à ma mère va lui insuffler ce souffle de vie qui semble tant lui manquer. Maman, s’il te plait, réveille toi.

Mon frère commence à perdre espoir, il est vrai qu’à un si jeune âge il est difficile de comprendre un tel évènement. Comment lui expliquer ? Existe-t-il un moyen de dire la vérité sans pour autant le faire souffrir inutilement ? A seulement huit ans dois-je-lui enlever ses espoirs en ressortant les discours des médecins ou simplement le laisser dans sa bulle ? Moi-même j’ignore d’où me vient cette certitude que tôt ou tard tout reprendra leur cours normal. Pour le moment il ne me reste plus qu’à retourner à l’hôpital.

Cher journal,

Les jours passent et se ressemblent tous. Comment moi qui n’arrive pas à rester en place ai-je pu réussir à m’accommoder de cette situation? L’être humain est ainsi fait, depuis la nuit des temps il évolue sans jamais se laisser envahir par le désespoir. On dit le cycle de la vie non ? Après six semaines, je commence à avoir mes habitudes, à connaître médecins et malades. Je me découvre une sociabilité cachée jusqu’à présent. Même si mes professeurs m’y découragent j’envisage d’arrêter mes études pour le moment. A quoi me servirait une licence d’économie aujourd’hui ? De plus j’aurais du mal à rattraper le retard accumulé. La réalité reprend peu à peu le dessus. Même si j’ai voulu laisser une place à l’espoir, maman ne reprend toujours pas connaissance. Son exploit d’il y a quelque temps, à en croire les médecins, n’étaient qu’un réflexe.

J’ai toujours pris maman pour une personne responsable, ne se laissant pas envahir par les soucis, laissant peu de place à l’imprévu mais mes croyances se sont effondrées peu à peu lorsque j’ai pris connaissance de la situation. Etant mère célibataire, s’occupant de deux enfants elle n’avait pas pu mettre de côté suffisamment pour pallier à ce genre de crises. Son assurance maladie ne prenait pas tout en charge. Jusqu’à présent les économies que j’avais pu faire grâce à mon travail me laissait un peu de répit mais d’ici quelque temps il faudrait que je me mette en quête d’un autre travail. Comment en a-t-on pu arriver là ? Sous le feu de l’action je prends des décisions mais lorsque la tempête se calme je perds pieds. Comment faire avec les factures qui s’accumulent ? Comment s’occuper d’un enfant qui ne cesse de réclamer sa mère ?

Cher journal,

Comment ai-je pu céder à la tentation ? Y a-t-il pire faiblesse que l’auto apitoiement ? Je n’ai pas été élevé comme ça. Je méprise les faibles et n’en ferais jamais partie. J’ai trouvé du travail, contrôler sa vie est un grand pouvoir. Et ce pouvoir, que peu de gens arrivent à détenir est la seule chose qui permettent d’avancer dans la vie. Comment vivre en se laissant aller à de multiples suspicions, en se laissant ballotter par les aléas de la vie ? Il faut pouvoir soi même placer ses limites, ses capacités, faire de notre vie de la pâte à modeler qu’il serait facile juste pour nous même à malaxer. Néanmoins avec ce travail et mon frère il m’est devenu difficile de faire de nombreux allers retours à l’hôpital et je m’en veux pour ça. L’impression d’abandonner ma mère peu à peu ne me quitte pas. Bien entendu les médecins, toujours aussi fin psychologue, me déculpabilise en me disant qu’elle ne s’en aperçoit même pas. Est-ce sensé me rassurer ? J’essaie de me renseigner via Internet, les livres et même les groupes de soutien sur ce qui touche maman. Le coma, y a-t-il pire façon pour de la famille et des amis de mesurer leur amour ? Au fil des jours qui passent les visites quotidiennes des proches se font rares. Ils invoquent leur propre vie, leur travail comme excuse. Dois-je leur en vouloir ? Après tout le malheur ne les touche pas personnellement. Pour certains c’est comme si en mettant de la distance entre l’hôpital et eux même ils éloignaient la maladie. Comme si le risque qu’un jour cela leur arrive diminuait en fonction de leur éloignement. Je suppose que tous les soirs ils remercient leur Dieu de ne pas les avoir placés dans la même situation que moi. Je ne les blâme pas, je suppose que j’aurais fais de même. On compatit toujours au malheur des uns et des autres mais… de loin. On reste dans notre sécurité, en ces quatre murs que nous nous efforçons d’ériger afin de nous protéger de toute souffrance. Cette famille, ces enfants que la société contemporaine nous force à faire sous peine de ne plus entrer dans les normes nous semble aujourd’hui une délicieuse échappatoire. Qu’y a-t-il de mieux que d’invoquer nos charmantes têtes blondes afin d’éviter de jour après jour se rendre dans un lieu d’où n’échappe que les effluves de la mort ? J’ai apprivoisé cette odeur, j’en ai fais mon amie, lorsqu’elle s’approche de trop près je lui rappelle qu’être destin de sa vie veut dire contrôler le moindre événement. Quand je serais prête à quitter ce monde je le ferais et quand je serais prête à laisser ma mère s’en aller je le ferais. Pour le moment je m’efforce donc avec mes pitoyables discours de me convaincre que je peux contrôler la Vie. Peut être me suis laissée trop entraîner dans mes lectures ? Il faut dire que pour les personnes vivant de tristes moments il existe de nombreux ouvrages qui nous permettent d’éviter l’apitoiement et les larmes superflues. C’est tout aussi utile que les discours prêts à l’emploi, comme « ne t’inquiètes pas tout va bien aller », « laisse faire le temps »… Ne vous semble t-ils pas dénués de sens ? Peut être parce qu’ils sont adaptables selon n’importe quelle circonstances. Vous divorcez ? Un ami va vous rassurer en vous disant qu’en laissant le temps agir vous ne ressentirez plus aucune douleur. Vous faites une fausse couche ? Ne vous inquiétez avec le temps vous ne ressentirez plus la même peine. Même chose, si vous perdez un emploi, un proche, une paire de clés ! Comme si le Temps était maître de notre vie ! Mais le temps n’est qu’une succession de minutes, heures, jours à nous d’en remplir le vide, d’en accoler une fonction. Nous nous devons d’agir par nous même sans aucune aide extérieure afin de se sortir d’une impasse. Sinon à vous tous les bons croyants qui peuplent la Terre je vous pose une question : Pourquoi Dieu nous aurait il doté d’une âme, conscience, de désirs et de choix ? Si nous nous laissons portés par la douce mansuétude qu’est la vie pourquoi ne serions pas tout simplement des animaux ?

Cher journal,

Quatre mois maintenant que maman se trouve dans le coma. Le petit s’en accommode avec une facilité déconcertante. Il ne m’harcèle plus de questions et semble croire qu’elle est partie pour toujours. Pour preuve lors de son anniversaire il m’a semblé plus choqué par les interrogations de ses amis que par l’absence de sa mère. J’ai essayé d’en parler avec quelqu’un de compétent mais pour être honnête je n’en ai pas eu la force. Il sera bien assez tôt d’éclaircir la situation quand maman se réveillera. Crois tu que je me voile la face ? Tout le monde semble croire qu’il faudrait que j’espace mes visites à maman. Mais j’ai peur qu’elle se réveille et se retrouve seule n’y aurait il rien de pire ? Du fait de ma présence plus ou moins constante à l’hôpital j’ai rencontré un jeune homme, David dans le même cas que moi. Son père est dans le coma depuis maintenant deux ans. Est-ce possible de surmonter pareille épreuve ? Quelque fois j’ai la pensée affreuse que si tout s’arrêtait ce serait préférable. Tout plutôt que ses doutes continuels. J’ai beaucoup de peine pour David pourtant et cela semble saugrenu il vit très bien la situation. Seulement c’est parce qu’il possède un allié particulièrement redoutable, il possède une foi digne des plus grands rabbins. Eh oui mon journal c’est un juif ! Etrange destinée, une sois disant catholique qui ne croit en rien qui rencontre un fervent juif. J’ai beau en parler avec ironie parfois je l’envie. Il ne sent jamais seul comme moi. Il essaie de m’expliquer sa religion, peut être aurais je du être plus attentive en cours. J’ai l’impression d’être une imbécile je ne savais même pas qu’un juif devait manger de la nourriture cachère c'est-à-dire en quelque sorte bénie, et une fois par semaine ils ont ce qu’ils appellent shabbat. C’est comme notre dimanche sauf que nous nous pouvons utiliser l’électricité. Eux se doivent de respecter un strict repos, aller à la synagogue, étudier la Torah, se consacrer uniquement à la pensée de Dieu. Aussi incroyable que cela puisse paraître cela me semble intéressant à pratiquer. J’imagine qu’il doit en résulter un état d’esprit particulier et puis avoir la certitude en quelque chose de supérieur est tellement sécurisant ! Mais d’un autre côté cela me parait facile, pouvoir rejeter la faute, s’en remettre au Destin. Je ne sais pas j’ai l’impression d’avoir reçu une douche froide, que tout à coup on m’ouvre les yeux. Il est tellement différent de ce que je pouvais m’attendre d’un juif. Est-ce qu’on dirait de moi que je suis anti-sémite si j’avouais que j’avais des préjugés contre eux ? Je ne suis ni bête ni méchante seulement je les imaginais comme le mythe : tous riches, avares, avec un gros nez, un peu fous... Heureusement que je n’ai jamais fais part de mes réflexions à quiconque, on m’aurait tout de suite mal jugé. Je suppose que je ne me suis jamais posée de questions sur eux, je sais ce qui s’est passé pendant la Seconde Guerre Mondiale, je sais qu’il y a eu des problèmes lors de l’Indépendance de leur pays et que jusqu’à maintenant il y a des attentats. Mais à bien y réfléchir je l’avoue et avec une certaine honte que j’avais beaucoup de préjugés à leur encontre. Il est différent de ce à quoi je m’attendais. Il me parle avec douceur, patience loin de mes cours de catéchisme où j’avais peur de me rendre. Il m’ouvre une nouvelle voie de réflexion même si je continue d’avoir mes croyances. Nous nous parlons assez souvent, il est à peine plus âgé que moi mais par bien des côtés il est plus mûr, c’est déjà un adulte. Il me demande souvent des nouvelles de ma mère et mon frère. En me relisant je me rends compte qu’on pourrait croire qu’il m’intéresse mais c’est faux. Seulement parfois c’est bon de pouvoir se confier qui ne nous connaît pas. J’ai moins l’impression qu’on me juge mal et c’est une personne très ouverte.

Cher journal,

On ne note toujours aucun changement pour ma mère. J’ai tellement envie de la secouer pour qu’elle se réveille ! J’ai tellement envie que tout redevienne comme avant. J’ai peur que mon frère l’oublie, ce n’est qu’un petit garçon, cela fait presque cinq mois mais peut on oublier sa mère ? Je ne sais plus quoi faire, mon travail est miteux, il ne me sert qu’à payer les factures, je m’éloigne de mes amis. Je n’arrive plus à me sentir en osmose avec eux, comme si une fois que le malheur entrait dans une maison on était marqué à vie. Ma seule bouffée d’oxygène provient de mes nombreuses discussions avec David. J’ai peur, je crois que je m’attache trop à lui alors que je sais qu’il ne ressent que de l’amitié pour moi. Sa religion se dresse comme une barrière infranchissable entre nous. Où peut être que j’extrapole trop, peut être que nous nous entendons bien qu’à cause du fait que nous sommes liés dans le malheur. Je ne sais pas quoi penser, je me fais l’effet d’une jeune adolescente à la veille de son premier rendez vous. Après tout il me voit sans doute comme une amie. Cela semble indécent ce que j’écris ma mère est dans le coma et moi je pense à ma vie sentimentale ! C’est juste qu’il est tellement différent des personnes que je connais, j’ai constamment l’envie de lui parler, de connaître ses goûts sur tout et n’importe quoi. Aujourd’hui je n’allais pas très bien, l’atmosphère de l’hôpital me pèse de plus en plus, ma vie me parait vide de sens, je ne fais que travailler, m’occuper de mon frère et venir voir ma mère. David l’a senti, il m’a emmené boire un verre, il m’a changé les idées. C’est affreux j’ai l’impression de tomber amoureuse ! Un juif peut il sortir avec une non juive ?

Cher journal,

Et si je me faisais des idées ? S’il se fichait de moi ? Il me prend quelques fois dans ses bras et je ressens les symptômes habituels ! Mais autant parfois il me semble être complètement avec moi autant parfois il parait dans un autre monde comme si je n’y avais pas accès. Pourquoi un garçon est il toujours déconcertant ? Je devrais avoir une conversation avec lui, histoire de faire le point, voir s’il a des attentes envers moi.

J’ai dû quitter le travail plus tôt aujourd’hui, l’école de mon frère m’a téléphoné. Il semble que j’ai négligé certaines choses je me fais l’effet d’être mauvaise, de me laisser envahir par ce simulacre de relation avec David et d’en négliger de ce fait mon frère. Il n’oubliait pas ma mère, il se réfugie dans le silence comme dans un cocon protecteur. Je m’en veux de ne pas l’avoir vu plus tôt ! Sa maîtresse m’a lancé le fameux regard, celui qui vous pénètre l’âme et vous fouille jusqu’à en ressortir les pires choses. Il parait que ses dessins en cours sont de plus en plus sombres, elle pense que si je ne l’emmène pas voir quelqu’un il risque de se retrancher dans son monde comme à la mort de papa. Je m’en souviens comme si c’était hier j’avais l’impression de le perdre, je n’arrivais pas à l’atteindre, il ne parlait plus, s’alimentait à peine ce fut difficile de l’aider à remonter à la surface. Cette fois ci maman n’est pas avec moi pour l’aider. Je vais rappeler son ancienne psychologue, elle le connaît, il se sentira plus à l’aise peut être avec elle qu’avec moi.

Sa psychologue a accepté de le voir trois fois par semaine afin de l’aider à affronter la situation même avec elle j’ai eu l’impression d’échouer comme si j’avais failli à ma mission de grande sœur. D’après David si je ressens un tel sentiment de culpabilité c’est que je me reproche inconsciemment l’état de ma mère. Il me dit que de toute évidence je n’aurais pu empêcher ce qui s’est passé et que je devrais arrêter d’essayer d’être la meilleure et de vouloir la remplacer auprès de mon frère. En voulant faire comme si rien n’avait changé je l’ai plus perturbé qu’autre chose. Grâce à eux j’essaie de m’améliorer et je pense y arriver de plus en plus. David m’a emmené hier dans une synagogue afin de me montrer comment c’est à l’intérieur et m’a expliqué les bases de la religion juive. Comment l’ai-je ressenti ? D’un certain côté, cela m’a intéressé et cela m’a ouvert l’esprit, j’ai posé d’innombrables questions et d’un autre je me rebelle contre les faits établis. Pourquoi les femmes sont elles mises à l’écart ?

Cher journal,

10 mois ont maintenant passés. Mon frère a l’air d’aller mieux. Peut être devrais je moi aussi consulter ? La nuit les cauchemars viennent me hanter, je me réveille en sueur et en criant. J’ai toujours l’impression de marcher sur une ligne telle une acrobate. Est ça être une adulte ? Avoir peur constamment pour les uns et les autres, devoir contrôler chaque évènement ?

J’ai été appelé aujourd’hui par le médecin de maman. Pourquoi ne peuvent-ils pas être plus humains ? Lorsqu’ils me parlent j’ai devant moi un dictionnaire médical et non une personne. D’un ton abrupt j’ai appris qu’il était temps.

« -Temps pour quoi ?

-La laisser partir. »

Je crois bien que ma seule réaction a été de m’évanouir.

Cher journal,

Comment appelle-t-on le fait de débrancher sa propre mère ? Matricide ? Il n’y a aucun espoir pour elle, rien qu’une mort certaine. Et je dois être l’instrument de cette mort. Tuer ma mère, celle qui m’a mise au monde, celle qui m’a aimé, élevé et fait de moi la femme que je suis. Comment pourrais je ne serais ce qu’y songer ? Selon le médecin, cette situation pourrait continuer indéfiniment. Il n’y a aucun signes vitaux détectés depuis quelque temps, il n’y a aucune chance qu’un jour elle se réveille. Je dois me faire à cette idée, me préparer selon les termes du docteur.

Me préparer ? Mettre des œillères et des boules Quiès afin de me couper du monde aiderait il ? Je me sens complètement perdue et j’ignore vers qui me tourner. Les infirmières m’ont conseillé de prendre du temps pour réfléchir et trouver le courage de faire mes adieux à ma mère.

Cher journal,

On dit que c’est dans les pires moments que l’on trouve ses vrais amis. On dit que c’est leurs soutien qui nous aident à traverser les aléas de la vie. On dit beaucoup de chose. Qui pourrait trouver les mots adéquats face à une telle situation ? Voir toutes ces personnes autour de moi avec leurs discours sois disant réconfortants me donnent envie de hurler. Je ne supporte même plus un simple bonjour. Leurs regards débordant de compassion voire de pitié sont insupportables. Ils se réjouissent tous en secret que le malheur ne les touche pas. Je sais que je deviens irascible. Un rien me met hors de moi. Peut être ce normal ? Demain je tue ma mère.

Cher journal,

Voilà j’ai rendez vous avec les médecins cet après midi. En attendant je reste à ses côtés avec mon frère. Il est si jeune ! Quel sens donner à tout cela ? Une personne peut elle seulement faire une courte apparition sur Terre, procurer de l’amour et puis disparaître ? Quelle aura été sa vie finalement ?

Mon frère ne comprend pas, mais selon sa psychologue il est bon pour lui d’être présent. Il comprendra qu’elle n’a pas seulement disparu. Il verra comme on dit la vérité en face. Voilà plus que quelques heures.

Maman il y a tellement de choses qu’on ne s’est pas dites, tellement de lieux que j’aurais aimé visiter en ta compagnie, tellement de pensées se bousculent dans ma tête. Te souviens-tu de ce premier jour en maternelle ? Je pleurais, j’étais la seule d’ailleurs, je ne voulais pas que tu m’abandonnes. Tu m’as répondu que jamais tu ne me quitterais, que tu serais toujours à mes côtés mais que parfois on est amenés à se séparer. Tu m’as dis que notre amour est si fort que rien ne l’altèrera. Tu m’as conseillé de me souvenir de ces après midi crêpes que nous avions l’habitude de faire et tu m’as dis que chaque fois que j’aurais mal tu m’en préparerais. Et tu l’as toujours fais. Cela semble puéril mais c’est un souvenir très fort pour moi. Certaines de mes amis avaient honte de leurs parents mais moi j’étais fière de te présenter en tant que « papa et maman ». Je me souviens de la jalousie dans leurs yeux, j’étalais notre bonheur sans aucun scrupule. Nous avons été plus proches qu’aucune sœur ne pourrait jamais l’être ensemble. Tu m’as guidé tout au long de ces années sur le chemin de la vie. Tu m’as évité les impasses, m’a remis dans le droit chemin lorsque je m’égarais. Te souviens tu de la fois où je t’ai appelé au beau milieu de la nuit ? Je m’étais laissée entrainer dans une fête où coulaient à flot alcool et drogues. J’ai eu très peur cette nuit là, je me suis retrouvée seule, entourée de sauvages qui ne pensaient qu’à me déshabiller et me toucher. Tu es arrivée en pantalon de pyjama Winnie l’ourson et Tee Shirt jaune fluo, tu avais une batte de baseball dans la main gauche et un porte voix dans l’autre. Des rires ont fusé mais tu ne t’es pas laissée décontenancée. « La police a été prévenu je vous conseille à tous de partir ». Tu ne peux pas t’imaginer à quel point je t’ai trouvé courageuse ! Tu ne m’as jamais fais le moindre reproche à propos de cette soirée. Dans la voiture tu m’as seulement dis que tu allais préparer des crêpes. T’ai-je seulement remercié ?

Maman, comme ce mot sonne doux à mes oreilles. Maman, maman, maman… je vais perdre la raison sans toi. Tu m’as tant apporté ! Tu fais partie de ma vie, rectification tu es ma vie. J’ai l’impression de mourir sur place. Je n’aurais pas ta force. Comment vais-je faire sans toi ? A qui parlerais-je ? A qui demanderais-je conseil ? Chez qui irais-je me réfugier ?

Maman je dois maintenant éteindre la machine. Je t’aime maman. Regarde je te tiens la main jusqu’au bout. Je te regarde, j’essaye de mémoriser tes traits, de m’imprégner de ton odeur. Je vois ta poitrine se soulever lentement, de plus en plus lentement. Mes larmes coulent, j’essaye de t’insuffler un dernier souffle de vie. Trop tard. Tu n’es plus là. Je t’ai envoyé à la mort. Maman, m’entends-tu ? Maman je voudrais te dire que je t’aime. Je t’embrasse une dernière fois. Je vais chercher mon frère pour qu’il puisse te dire au revoir.

« - Pourquoi elle dort tout le temps ? C’est comme la Belle au bois dormant ?

- Non mon cœur elle ne dort pas. Elle est allée retrouver papa au ciel. Non, nous ne pouvons pas les voir, ni les rejoindre. Mais ils seront toujours là dans ton cœur, ils te protégeront tout comme moi. Non, je ne vais pas y aller avec eux, je te le promets. »

Cher journal,

Les médecins ont eu l’air satisfait de récupérer la chambre. J’ai rempli leurs papiers. Ils m’ont donné des médicaments pour m’aider à dormir. Mais je ne veux pas dormir, j’ai beaucoup de choses à faire, à préparer. L’enterrement aura lieu demain. Ma voisine s’occupera du petit. Il n’y aura pas ce qu’on appelle pompeusement, une réception après. Je veux rester seule. Peut être partirons nous quelques jours, histoire de souffler. En attendant je trie ses affaires, il parait que cela aide à accepter le deuil. Et voilà que passent chemisiers, robes, pantalons et… le pyjama Winnie l’ourson. J’ai du mal à respirer

Je me rends compte que je tape dans les murs. Je perds toute conscience comme si je me dédoublais. Je ne sais plus ce que je fais. De plus le téléphone ne cesse de sonner, bien sûr que cela part de bonnes intentions mais je n’ai plus la force d’y répondre, de mentir, de dire que tout va bien alors que je ne souhaite qu’une chose, la rejoindre. Sois forte, voilà ce qu’on me répète à longueur de temps. Forte pour quoi ? Pour qui ? Ah oui, mon frère, ce petit être qui doit se sentir déboussolé. Dois-je prendre la place de ma mère ? Dois-je continuer à agir en tant que sœur ?

Les pensées ne me laissent pas en paix. Dans quelques heures maman sera mise en terre. Le retour à la poussière comme on dit, quelle idée saugrenue ! Cela voudrait dire que la poussière symboliserait tous les morts ? Nous vivons entourés d’eux alors ?

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