Erosion
- Johanna Zazoun
- 11 déc. 2018
- 4 min de lecture

Il y a deux ans et demi, je suis tombée enceinte. C’était un merveilleux cadeau, c’est arrivé rapidement dès que nous avons arrêté la contraception. Quel bonheur! Cela sonne cliché mais nous étions les plus heureux du monde. Et la première fois où nous avons entendu battre le coeur était magique. Bizarre également, dans le sens où un autre coeur battait en moi quand même! Je me levais tous les jours avec un grand sourire, j’ai changé mon train de vie afin de mener une grossesse sereine. Faisant fi des superstitions j’ai acheté une jolie tenue pour nouveau né. Malheureusement cela ne devait pas se produire, à 19 semaines j’ai perdu mon enfant. Oui, je devrais dire foetus mais je le considérais dès le premier jour comme mon enfant, ma descendance. J’ai joué mon plus grand rôle à partir de ce jour, je faisais la femme forte, je disais à tout le monde que c’est la Nature qui fait les choses, que ce ne devait pas être mon destin.
J’ai réussi à passer outre, à continuer de me lever le matin, à établir des projets, à m’accrocher à la vie malgré mon envie de hurler au monde entier. Nous avons décidé de faire un autre bébé mais je n’arrive pas à tomber enceinte, je n’y arrive plus. Peut être que les choses seraient plus facile si notre entourage, la société elle même ne nous mettait pas la pression avec ce bébé. Les gens ne s’en rendent pas compte.
Les gens n’imaginent pas le poids des mots, les interrogations qui n’appellent à aucune réponse positive, la douleur, la solitude. Parfois même, le simple fait de parler est douloureux. Tout comme le silence d’ailleurs. On se dit qu’au final personne n’est là pour nous, puis que lesdites personnes sont trop présentes, trop intrusives, n’ont pas les mots qu’il faut. Finalement on se rend compte que nous même nous ne savons pas ce que nous voulons, ce que nous souhaitons comme catharsis. Une bonne cuite, une crise de larmes, l’indifférence, la sollicitude.. Un rien nous touche, un rien nous fait mal. On a juste envie de rentrer au plus vite dans la norme, de rentrer dans cette petite case qui dit qu’il faut 1,93 enfant. On veut donner une légitimité à ce corps de femme qui est vide alors qu’il devrait accueillir une nouvelle vie après le drame. Vite, remplacer ce qui n’est plus, ce qui n’a jamais vraiment été. Il n’y a pas vraiment de temps pour faire notre deuil, on nous dit qu’il faut aller de l’avant, que notre famille va s’agrandir permettant d’oublier notre peine.
Bien sûr nous souhaitons également continuer mais cela ne vient pas. Que faire? Parler entre nous? Parler à ce qu’on appelle un professionnel? Y aurait il un blocage quelconque de notre part? Inconscient même? On essaie, on se met même à discuter des positions, des dates, des périodes de fécondité, des règles, des pensées qui nous traversent l’esprit pendant l’acte, voir si vraiment nous sommes concentrés. Tout ce qui devrait rester du domaine de l’intime, du non dit, de la pudeur est révélé afin de comprendre. Comprendre pourquoi rien ne marche.
Si nous étions dans un livre je finirais par un “happy end”, j’annoncerais que je suis tombée enceinte, que mon mari et moi sommes les plus heureux du monde, que cette épreuve nous a soudé, qu’on s’aime plus fort que jamais.
Seulement les paragraphes s’enchainent, la lecture pour vous est rapide, l’écriture en est difficile. Le temps passe, rien ne change.
Cela fait un an que nous essayons avec mon mari. Cela vous semble trop court? Pourtant pour moi les jours passent très lentement. Je ne vis qu’au travers de mes cycles. Lorsque je comprends qu’encore une fois j’ai eu mes règles j’ai l’impression qu’un coup de poignard m’atteint en plein coeur, le souffle me manque, les larmes montent tout comme l’incompréhension puis la colère arrive. La colère contre moi même et ensuite contre mon mari. Il commence à s’éloigner de moi, je le sens, je ne saurais l’expliquer, donner des détails, c’est imperceptible. Seul le regard d’une femme amoureuse peut noter la légère impatience dans la voix, les silences qui n’existaient pas auparavant, l’hésitation à entrer dans la même pièce. Je ne suis pas dupe, je sais que mon comportement y est pour beaucoup. Il m’a reproché un jour de me comporter comme une femme stérile qui n’est jamais tombée enceinte. Vous savez le genre de phrase que vous regrettez aussitôt prononcée. Cela fait mal, très mal lorsque cela vient de la personne en qui vous avez le plus confiance, celle qui sait ou du moins qui aurait dû savoir par quoi vous passez.
Notre couple s’érode. Lentement mais sûrement, au gré des cycles qui se succèdent. On devrait avoir le courage de se parler, de mettre un terme à cette hémorragie mais on s’entête sous prétexte de vouloir fonder une famille.
Cela fait deux ans maintenant, deux ans et toujours pas d’enfant. Notre couple n’en est qu’un que par le nom. L’amour s’est étiolé, il reste une profonde affection, l’excitation a été remplacée par l’habitude. Il n’y a qu’un pas à faire pour arriver à l’ennui. Lorsque nos regards se croisent, ils se séparent, gênés. Parfois il y a comme une interrogation dans l’air. Qui va en parler le premier? Qui osera prononcer à voix haute les mots fatidiques? Ou bien est ce que l’un d’entre nous arrivera à se battre? Sauver ce qu’il reste d’un couple qui s’est profondément aimé?
Dix ans maintenant que nous sommes ensemble. Dix ans d’amour, de complicité, de sexe, d’humour, d’amitié. Où tout cela est-il passé? Où nous sommes nous égarés? Où est l’homme qui me faisait rire au milieu de la nuit? Où est la femme qui a emmené son mari prendre un bain de minuit?
Je l’aime.
Il m’aime.
Et si on recommençait à zéro?
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