Et nous danserons encore de Sébastien Spitzer
- Johanna Zazoun
- 11 nov. 2024
- 7 min de lecture
Dernière mise à jour : 23 déc. 2024

(Enorme) déception de la semaine: Et nous danserons encore de Sébastien Spitzer.
Le 7 octobre 2023 a marqué un tournant dans l’histoire d'Israël et dans l'histoire du monde. Cette terrible tragédie a sidéré les opinions, bouleversé les consciences jusqu'à polariser le monde politique. Tout s'est passé si vite. Pour mesurer le drame, j'ai éprouvé le besoin irrépressible d'aller, d'entendre, de sentir et de voir, d'éprouver l'événement dans toute sa dimension. J'ai passé de longues heures chez les parents de Netta. Sur les rives de la mer Morte, j'ai pleuré à chaudes larmes avec la mère de Noya. J'ai été transporté par le courage du fils de Vivian Silver, du frère d'Elya, de la soeur de Morane, du père de Netta. J'ai rencontré des dizaines de rescapés du pogrom, des otages libérés et des héros plus ou moins anonymes. De Tel-Aviv aux kibboutz proches de la bande de Gaza, j'ai sillonné le pays. À Jérusalem, j'ai retrouvé des mères d'enfants disparus. À Bethléem, j'ai prié la nuit de Noël dans la grotte de la Nativité. Ce livre est leur histoire, racontée par eux-mêmes, pour que personne ne puisse trahir ou détourner ce qui s'est vraiment passé le 7 octobre dernier.
Chacun a sa façon de réagir au 7 octobre, aucune n’est mieux qu’une autre vu qu’elle est personnelle et doit surtout nous parler à nous plus qu’aux autres. Il m’aura fallu un an pour pouvoir commencer à regarder des documentaires (celui sur la station de police à Sderot m’a bouleversé) ou des films sur le sujet. Presque autant de temps pour pouvoir lire dessus. Que ce soit en hébreu ou en français. Je ne veux pas de livres sur la politique, si je veux voir des gens rejeter la faute sur tout le monde je n’ai qu’à allumer les informations. Je privilégie les témoignages de rescapés ou (et il y en a beaucoup) les livres commémorant les morts. J’ai pris de ma mère cette habitude de dire à voix haute le nom des morts et de lire sur leurs vies, pas par curiosité morbide mais plus par volonté de respecter ceux qu’ils étaient, de les ramener à la vie pendant quelques minutes. Lire sur le 7 octobre est important pour moi, une manière de rendre hommage à tous ceux qui ont vécu ce massacre impitoyable. Lorsque j’ai vu que l’ouvrage de Sébastien Spitzer était sorti je ne me suis pas posée de question, je me suis dit qu’il est un journaliste respecté et sa volonté de ne pas trahir ce qui s’est passé, de ne pas donner de circonstances atténuantes (ses propres mots) m’a convaincu de débourser 119 shekels. Seulement j’ai eu l’impression de me prendre un coup de massue et ce, dès le début.
Nous ne sommes pas dans le récit objectif pourtant il y en a de très bons même écrits par des non israéliens, par exemple Un pogrom au XXIe siècle publié par Le Point. En fait nous ne sommes pas dans le témoignage, on est plus dans le livre politique sous couvert de donner la parole à des survivants, à des familles. Mais quelles sont les personnes choisies? Celles qui abondent dans le sens de Spitzer, celles qui enfoncent le premier ministre en l’accusant de tous les maux comme s’il était coupable de tout. Pourtant, le but de ce livre était de remettre les massacres du 7 octobre en première ligne afin que le monde arrête de penser qu'Israël le méritait non? Comment cela pourrait être le cas quand on voit des lignes comme:
“Elle (l’armée israélienne) enfouit des civils sous des tonnes de gravats, et augmente chaque jour, chaque heure le nombre de victimes: hommes, enfants, femmes et vieillards. Elle va raser Gaza au risque d'entraîner la mort des otages.” (94)
Déjà il y a cette volonté d’amplifier la victimisation des gazaouis, femmes et hommes ne suffisent pas, il faut ajouter enfants car cela fait pleurer dans les chaumières mais également vieillards, après tout ils ne sont ni dans la catégorie hommes ni dans la catégorie femmes. Quid des civils ayant pris part au massacre? S’il y a volonté de rentrer dans des considérations plus géopolitiques pourquoi ne pas faire état des multiples témoignages montrant que des civils gazaouis ont également torturé et tué? Par exemple, le 8 avril 2024 dans une interview pour Le Point Nili Margalit une otage libérée en novembre 2023 racontait “Les terroristes qui m'ont capturée étaient des civils. Ils ont négocié avec le Hamas pour me vendre.” Spitzer prend délibérément position contre le gouvernement israélien mais également l’armée qu’il décrit comme une marionnette du premier ministre. Ok, je respecte qu’il y ait des personnes différentes de moi mais je ne respecte pas quand on prend comme appui des arguments mensongers, sans donner aucune source. Aucune explication sur cette injonction de futur proche “va raser”. C’est un superlatif, raser veut dire ne rien laisser. Le ton est donc donné et le parti pris. Celui de faire passer le premier ministre Netanyahou pour un aussi gros méchant que le Hamas malgré une volonté dite de ne pas minimiser le massacre et ne pas donner de phrases telles que "le 7 octobre fut un massacre mais...". Malheureusement le mais est insinué tout au long du livre. Pourtant je ne suis pas fan de Bibi et tout le monde le sait, seulement le mettre au même rang que des terroristes venus violer, torturer, kidnapper et massacrer tout un peuple c’est un chouïa exagéré. L'accuser de ne rien faire pour sauver les otages, de faire passer ses propres besoins avant la vie de ceux qui sont aux mains de barbares c'est un peu fort.
L’analyse de Spitzer concernant la longue réaction de Tsahal aux massacres est tout simplement aberrante, un raccourci honteux pourtant cet ancien militaire français est sensé avoir étudié à Sciences Po et avoir couvert de nombreux reportages au Moyen Orient. Comment alors peut on comprendre ce genre de jugements?
“Ils auront le champ libre pour perpétrer leur crime. Longtemps. Trop longtemps. Trop de bataillons de Tsahal étaient redéployés vers la Cisjordanie, en soutien aux colons, l’électorat de Bibi.” (95)
Tout au long du livre on voit la volonté de Spitzer d’interroger et de mettre noir sur blanc les discours faisant écho au sien. Grosso modo voici ce qu'il pense. La société israélienne qui a été prise pour cible, les habitants du sud, était de gauche et voulait la paix. Seulement la dite société est menée par un homme menant son peuple à sa perte et un autre à la mort. Les exemples sont nombreux dans son livre pour étayer cela mais pourtant ils ne sont pas représentatifs de la totalité des victimes. Les phrases attaquant Bibi pullulent:
“Le premier ministre Netanyahou avait levé le voile sur sa vision des choses: Ce sont des animaux humains. Nous combattons des animaux. Nous agirons en conséquence.” Ignoble! Indéfendable! (181)
“Tout le monde semble y croire, excepté le gouvernement de Netanyahou. Sans doute a-t-il d’autres priorités” (220)
“Depuis les premiers jours de cette guerre, les familles prennent conscience que les otages ne sont pas la priorité de leur Premier Ministre. (...) Mais cet homme veut sa guerre. (237)
Qu'il est dommage que Spitzer n'est pas poussé son investigation jusqu'au bout. Qu'il ait délibérément décidé de laisser de côté une partie non négligeable de la société israélienne qui ne pense pas comme lui. Par exemple, Iris Haim dont le fils Yotam pris en otage et qui a été accidentellement abattu par l’armée continue de la respecter et appelle à la fin des clivages dans notre société. Elle représente pour moi la quintessence du peuple juif, elle est un modèle de sagesse. Pourtant Spitzer n’en parle pas, finalement la parole est très peu donnée que ce soit aux survivants ou à leurs familles ou même encore les familles des otages ne faisant pas partie du forum. Pourquoi ne pas parler avec Tsvika Mor dont le fils Eitan a été kidnappé? Parce qu'il refuse un accord à tout prix, parce qu'il place la vie de son enfant au niveau national et pas juste personnel il a été accusé à plusieurs reprises d'enterrer son fils à cause de ses paroles qui ne collent pas au discours du forum des familles. Ce que je reproche à Spitzer est de fermer les yeux sur tout un pan de notre Histoire, de notre peuple car ça ne correspond pas à sa vision de cette guerre et de notre vie à présent. Pourquoi ne pas avoir interrogé Laura Blajman Kadar survivante du 7 octobre par exemple? Elle a cette volonté de témoigner pour ne pas qu’on oublie, pour ne pas qu’on trouve de circonstances atténuantes. Est ce parce que son message ne va pas dans le sens de Spitzer? Après tout elle disant dans une interview au Times of Israel le 21 mai 2024 “On m’a souvent demandé si j’en voulais à l’armée israélienne. Ma réponse est claire : j’en veux seulement au Hamas. Au début, nous nous demandions pourquoi l’armée n’arrivait pas. Au fil des heures, quand nous avons pu consulter les médias, nous avons compris que c’était tout le Sud d’Israël qui était attaqué. L’armée a réussi à se réorganiser et à retrouver sa force.Et je lui fais confiance pour enquêter sur elle-même, pour comprendre pourquoi c’est arrivé et pour faire en sorte que cela ne se reproduise plus.”
Bref, je m’interroge beaucoup sur le titre donné à l’ouvrage, sur ce “nous” qui m’a interpellé et m’a convaincu que c’était le genre de livres que je cherchais. Spitzer utilise la maxime des israéliens comme s’il en faisait partie, comme s’il avait compris qui nous étions. Seulement à prendre parti comme il le fait, en refusant l’autre côté de notre société, il se récuse lui-même de ce “nous” fédérateur. Quand Hugo du kibbutz Beeri lui parle, lui dit qu’ils étaient souvent de gauche au kibbutz, très engagés pour la paix mais que ce qui s’est passé l’a changé, Spitzer ne va pas l’interroger, creuser le sujet, il ne fait pas son travail de journaliste jusqu’au bout comme il a pu le faire en parlant avec des israéliens abondant dans son sens. Hugo lui dit qu’il faut que notre armée détruise tous les hommes du Hamas. Qu’il ne peut pas pardonner ce qui s’est passé. Spitzer peut l’accepter, c’est ce qu’on comprend du témoignage direct qu’il retranscrit par contre il refuse d’écouter impartialement jusqu’à la fin et de nous partager le nouveau point de vue d'Hugo. “Puis il marmonne une phrase que je retranscrirai pas. Un impératif lourd. Une exigence terrible qui me fait froid dans le dos.” (102) Pourquoi?
Je l’ai lu jusqu’au bout car de toute façon je l’ai acheté mais la rhétorique obsessionnelle de Spitzer contre Bibi et l’armée israélienne le disqualifie automatiquement de la liste des ouvrages que je conseille. Cela dit vous êtes plus qu'invités à venir l'emprunter pour vous faire une opinion par vous même bien sûr.
Bonne lecture!
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