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La détresse d'une mère

  • Photo du rédacteur: Johanna Zazoun
    Johanna Zazoun
  • 15 févr. 2023
  • 12 min de lecture

Dernière mise à jour : 16 févr. 2023


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Ma fille, ma Mila, ce bébé dont j’ai tant rêvé sans être sûre de pouvoir un jour la rencontrer fête ses 6 mois aujourd’hui. Faire ou non un quatrième enfant était notre seul point de discordance avec mon mari et voilà, elle est arrivée en avance le 15 août 2022. Elle devait savoir qu’accoucher un 1er septembre m’angoissait beaucoup. J’ai donc été enceinte pendant 37 semaines, une grossesse qui a été très difficile. Au point où j’ai lu 138 livres, où je n’ai littéralement pas quitté mon canapé, où ma vie mais surtout mon état psychique m’ont échappé.



Pourtant tout aurait dû se dérouler à la perfection, elle était désirée, j’étais en excellente forme physique et me sentais plus forte que jamais. Elle avait même son surnom, petite Buda, car Budapest (et mon mari bien sûr) m’a fait un merveilleux cadeau. Le 2 janvier, date anniversaire de ma mère, mon médecin m'a appelé pour me dire mazal tov, j’y ai vu un signe qui me rendait cette date moins difficile. Pourtant ce fut le début de l’enfer. Pendant 37 semaines il a fallu expliquer à de (trop) nombreuses personnes que non la grossesse n'est pas considérée comme une maladie mais que oui tu peux en avoir tous plein de symptômes. Que non tu n'as aucun virus prénatal ou autre mais que tu ne peux pas quitter ton fauteuil et que même parler au téléphone tu n'y arrives pas. Il a fallu faire avec les regards en coin et les soupirs car à moins d'être hospitalisée ou étiquetée avec le nom d'une maladie les gens ne veulent pas comprendre qu'on puisse vivre une grossesse très difficile au point de ne plus sortir et de passer son temps allongée (et sur ordre du médecin en plus). Personne à part mon mari et mes beaux parents n’a réellement compris mon état catastrophique. Sur le papier tout était beau même si jusqu’au matin même de l’accouchement on m’a parlé de diabète et gros bébé. Médicalement parlant tout allait bien, physiquement mais surtout psychiquement il y a eu une vraie rupture. Je sentais comme une couverture noire s’étendre à mon corps mais surtout à mon âme. Je ne supportais plus personne, pas même mes 3 enfants, heureusement la seule vue de mon mari m’apportait un peu de bien. Je n’arrivais pas à être moi-même comme si une entité étrangère avait pris le dessus et que peu à peu je disparaissais. C’est ce qu’il s’est passé en quelque sorte, ma grossesse était devenue mon identité, moi Johanna je n’étais plus là ou plutôt j’étais devenue si faible. Je ne compte plus le nombre de jours passés à pleurer, à répéter à mon mari à quel point je déteste être enceinte (je n’ai jamais aimé ça), à voir tout en noir, à maudire cette grossesse. Et puis le 15 août tout s’est terminé, je pensais laisser le cauchemar derrière moi et enfin profiter de ma famille tant rêvée mais ce ne fut pas le cas. L’accouchement s’est pourtant déroulé à la perfection, en 1h20 l’affaire était bouclée. J’ai perdu les eaux, suis arrivée à l’hôpital et à peine j’ai tourné la tête qu’elle était là. J’étais maîtresse de mon accouchement, je ne me suis jamais sentie aussi forte qu’à ce moment-là, mon corps savait ce qu’il devait faire et il l’a fait rapidement (heureusement car j’étais tout de même sans péridurale). Après une petite jaunisse, nous avons pu rentrer à la maison le sourire aux lèvres. Le répit a été de courte durée car à 8 jours à peine ma fille s’est retrouvée hospitalisée dans un état grave. Rebelote, tout ce que nous avions vécu avec mon fils recommençait (sur le blog vous trouverez un article qui en parle). Les médecins ont sauvé la vie de ma fille et nous avons pu (encore une fois) rentrer à la maison le sourire aux lèvres. Cependant, le cauchemar a repris.



Souvent nous ne savons pas que nous nous trouvons dans un tunnel, nous sommes plongés dans l’obscurité, nous tâtonnons et avançons bon gré, mal gré. Pas le choix, nous sommes des mères. Il m’a fallu du temps pour comprendre et admettre qu’il y avait un problème avec Mila. Pour décrire les choses simplement, Mila est un (très) beau bébé souriant quand tout va bien mais sujette à d’énormes crises d’hystérie. Elle peut se mettre à pleurer puis hurler pendant des heures sans interruption. Au début je me disais que quelque chose la dérangeait, je la changeais, tentais de lui faire faire un rot, lui donnais à manger etc. Ce que n’importe quel parent aurait fait à ma place. Cela dit rien n’y faisait, elle hurlait heure après heure, jour après jour. Les jours se sont transformés en semaines qui eux-mêmes se sont transformés en mois. J’étais, je suis toujours, épuisée physiquement et mentalement. Mon mari était, est toujours, épuisé physiquement et mentalement. Nous sommes pourtant déjà parents de 3 enfants, nous n’aurions dû être surpris de rien mais là nous sommes déboussolés. Rien n’y fait, rien ne la calme vraiment à long terme. Elle hurle. Et parfois pendant ses crises et alors que même être dans mes bras ne la calme pas forcément je me dis “si j’avais su…”. Le fameux “si j’avais su”. Aurais-je vraiment fait un autre enfant si j’avais su le cauchemar dans lequel j’allais être plongée? La bienséance me ferait taire mais moi j’ai envie de dire ce que je ressens au plus profond de moi car la parole d’une femme, surtout une femme en souffrance, ne devrait jamais être tue. Non, si j’avais su à quel point j’allais souffrir je me serais abstenue de faire ce dernier enfant. Je n’ai pas honte de le dire et pourtant je l’aime de tout mon cœur. Je l’aime depuis cette échographie où sa main m’a clairement saluée. Mais, mon état psychique a connu une vraie rupture depuis le premier jour de cette grossesse et en date du 15 février je suis toujours loin d’être moi-même. Je le dis alors que je suis par terre, à côté d’elle afin d’éviter la crise d’hystérie qu’elle a commencé à faire lorsque je me suis préparée le premier des cinq cafés me permettant de tenir jour après jour. Je le dis alors que je suis assise par terre mais je peux également le répéter lorsque je suis obligée d’aller aux toilettes avec elle dans les bras (pas très hygiénique mais pas le choix) ou quand je la porte avec mon bras gauche tout en coupant des légumes avec ma main droite. Bien entendu qu’il y a des moments de calme et de joie mais ils sont vite éclipsés par ses crises.


Cette rupture que je ressens a créé une cassure avec ma propre famille, mon mari et mes enfants. Il a fallu faire le deuil de beaucoup de choses depuis ce 2 janvier 2022. Celui de la grossesse parfaite que je rêvais d’avoir. Celui de la mère patiente et douce de mon petit trio d’amour. Celui de l’épouse (im)parfaite de mon mari. Mais surtout il a fallu faire le deuil de cette famille de 6 dont je rêvais tant. Il a fallu tout réécrire. Tout recommencer. Tout recréer et ce, même le lien que j’avais avec mon trio. Nos places dans la famille ont complètement changé. Jusqu’à présent, 6 mois après la naissance de ma fille, il y a toujours des crises d’hystérie. Je me sens loin de tout y compris de mon mari et mes enfants. J’essaye d’apprivoiser Mila, de l’apaiser, de contenter ses besoins mais je n’y arrive pas toujours. Je l’ai prise chez son médecin et chez l’infirmière qui la suit depuis la naissance. Je leur ai expliqué à toutes les deux, lors de rendez-vous différents à quel point je n’y arrivais pas, qu’elle hurlait constamment et que je me sentais perdre pied, je leur parlais avec des larmes dans la voix et leur décrivais les difficultés et pensées noires et violentes que j’avais et pourtant.. Pourtant leurs réponses ont été décevantes et potentiellement dangereuses. Le pédiatre qui me suit depuis plus de 3 ans maintenant, qui me connaît et me félicite souvent pour les choix que je fais l’a examiné et m’a dit que tout allait bien médicalement parlant avec elle, que c’était mon choix, que c’était ça la vie avec 4 enfants. En 2023 oui il est toujours possible d’entendre de pareilles âneries et même venant d’une pédiatre qui devrait pourtant être plus à même de reconnaître les signes de burn-out. L’infirmière qui elle aussi me connaît depuis plus de 3 ans et a suivi mon fils mois après mois n’a pas eu une meilleure réponse. Elle m’a tout simplement fait taire par un “tu exagères elle ne hurle pas autant c’est ta fatigue qui parle”.


Vous rendez-vous compte de la dangerosité de ces réponses? Il m’est arrivé plus d’une fois depuis que j’ai Mila d’avoir des sombres pensées et même des pensées violentes à son encontre. Quand les hurlements durent des heures et des heures durant c'est difficile de ne pas avoir envie que tout s'arrête d'un coup. Je pensais en me tournant vers le corps médical trouver un semblant de réconfort, à défaut de réponses. Cela m’a beaucoup énervé car une mère en congé maternité est souvent coupée du monde, elle n’est pas encore repartie au travail, ne sort pas encore beaucoup car le bébé est très petit etc. Alors renvoyer à la maison une mère qui craque complètement est-ce normal? Non. Et, je ne me suis pas cachée de leur dire lorsque j’y suis retournée quelques semaines plus tard, pourtant ma tante m’a mise en garde en me disant qu’elles pouvaient m’envoyer les services sociaux si j’exprimais le fond de ma pensée mais j’ai pris le risque. Pas que pour moi mais pour toutes ces mères qui souffrent en silence. La fois suivante alors que l’infirmière m’a nonchalamment demandé s’il y avait du mieux je lui ai rétorqué du tac au tac “pourquoi devrais je t’en parler alors que tu ne prends pas la peine d’écouter ma souffrance?”. Je lui ai dit qu’elle pouvait appeler les services sociaux si elle le voulait mais que rien ne m’empêcherait de parler ce jour-là. Je lui ai demandé si elle se serait sentie coupable si elle avait appris que j’avais balancé ma fille contre un mur? Elle a pris une mine choquée et fait mine de dire que je n’en étais pas à ce point mais je ne l’ai pas laissé parler. Je lui ai dit que depuis 3 ans qu’on se connaissait jamais je n’avais craqué devant elle comme la fois précédente et au lieu de m’écouter elle a fait taire ma voix de mère en souffrance et que oui, ça aurait pu également m’arriver à moi d’en arriver à un tel drame. Il ne faut jamais penser que nous sommes mieux que d’autres, cela peut arriver à n’importe quelle mère. Lorsque les hurlements de votre enfant ne vous laissent pas une minute de répit, lorsque vous vous sentez partir loin dans un autre monde car vous recherchez désespérément du silence alors oui il est dur de lutter contre les accès de violence qui vous traversent. Attention, dur ne veut pas dire impossible mais il faut être très vigilant et surtout demander de l’aide. J’ai expliqué à l’infirmière que certes elle ne pouvait physiquement pas m’aider mais qu’elle pouvait au moins avoir le respect de m’écouter et faire preuve de soutien moral. C’est très important pour une mère de se sentir écoutée. Ce jour là j’ai clairement exprimé tout ce que j’avais sur le coeur et si c’était à refaire je le referais car effectivement moi, elle ne peut plus m’aider mais peut être qu’une autre mère que moi n’arrivera pas à se retenir lorsque son enfant aura passé plus de 3 heures à hurler et peut être qu’elle fera le pas qui la fera passer de mère en souffrance à une mère infanticide. De la pensée à l’acte il n’y a parfois qu’un tout petit pas à faire. Ce petit pas fatal peut-être qu’il pourrait être évité si on tendait une main secourable ou si tout simplement on prenait la peine d’écouter l’autre. C’est ce que j’ai dit à l’infirmière. Et dans ses yeux j’ai lu à quel point je l’avais choqué de parler comme ça mais j’ai aussi lu de la compréhension. Elle ne s’est pas excusée mais m’a répondu que j’avais raison. Et là, elle s’est mise à tenter de me trouver des solutions concrètes me permettant d’éviter de replonger dans le tunnel noir qui m’emprisonnait depuis tant de temps.


6 mois aujourd’hui que ma fille est venue au monde. Je l’aime à la folie furieuse, tout autant que mes 3 autres enfants mais contrairement à avec ses frères et sœurs, mon expérience de mère avec elle est une souffrance mêlée d’amour profond. Des sentiments très difficiles à ressentir lorsqu’ils sont entremêlés. Si la grossesse n’avait pas été aussi difficile peut être que les choses auraient été différentes, peut être que dans le tunnel j’aurais trouvé plus de lumières. Peut être que je n’en serais jamais arrivée au stade où je me dis “si j’avais su”. Peut être que j’aurais moins pleuré, moins craqué, moins hurlé, moins souffert. On ne le saura jamais. Parfois elle hurle et je la regarde, je l’entends hurler et je me sens partir loin, très loin. Je prends des précautions afin d’éviter tout drame, je l’accroche dans son siège ou je la donne à mon mari et je me mets à rêver du jour où je verrais la porte de sortie de ce tunnel. J’ai su trouver de l’aide et c’est grâce à ça que je m’en sors. Les lumières qui jalonnent ce long parcours sont portées par mon mari et mes beaux-parents. Mon mari sèche mes (trop) nombreuses larmes et s’occupe de sa fille un maximum parfois (trop souvent) au détriment de son propre travail (heureusement pour moi il travaille de la maison). Mes beaux parents qui prenaient le sujet à la légère lorsqu’ils se trouvaient en France ont compris de quoi je parlais lorsqu’ils sont arrivés en Israël. Ils viennent deux fois par semaine afin de me soulager. Sans eux et sans mon mari, il est fort possible que j'aurais pu commettre un acte irréparable. Je le dis en tout état de cause et pas dans l’espoir de lire des réponses réconfortantes telles que “tu es une mère formidable jamais tu n’aurais fait ça” ou “je te connais tu es trop douce pour commettre ce genre d’acte” non je le clame haut et fort car cela peut arriver à n’importe qui, n’importe quelle mère. Vous savez le burn out maternel se définit comme une forme d'épuisement vécue par les femmes dans leur rôle de mère. On se sent submergé par une vague de fatigue psychique et physique dont on a beaucoup de mal à sortir. Je suis sûre que beaucoup en souffrent malheureusement.


Je n’ai pas besoin d’un diplôme pour comprendre ce qui se passe avec ma fille, je l’ai compris toute seule. Elle a besoin de ma présence mais pas juste physique. Elle en veut plus, elle veut tout de moi. Comme lors de la grossesse. Chaque grossesse mais surtout chaque enfant est différent, c’est fou ce que c’est criant de vérité lorsqu’on voit Mila. Elle me prend mon essence vitale, elle en a besoin. J’essaye de faire un maximum mais je n’y arrive pas toujours. C’est pour cela qu’il y a des jours plus difficiles que d’autres. J’ai cherché à comprendre, à la comprendre et c’est ma conclusion. Physiquement elle va très bien mais elle a besoin de moi tout simplement. H24. 7 jours sur 7. Je me rappelle combien de compliments j’ai reçu d’avoir repris très (trop) rapidement mon poids d’avant grossesse. Je me rappelle comment je répondais avec un sourire crispé et des larmes aux yeux que ce n’était même pas fait exprès. Je me rappelle combien je me suis confiée à tous ceux qui me demandaient comment j’allais. Mes phrases, ces mots qui disaient à quel point j’étais en manque de silence, je ne voulais même pas dormir plus ou manger mais juste du silence. Beaucoup ont entendu mes réponses, très peu m’ont écouté. J’ai donc affronté ce tunnel, heureusement main dans la main avec mon mari sans qui je n’aurais pas tenu. C’est grâce à lui que je tourne à gauche dans la rue et que je ne continue pas tout droit dans l’espoir de fuir ma vie.


Voilà 6 mois que j’affronte la tempête, que ma fatigue est devenue mon quotidien et qu’elle s’est transformée peu à peu en impatience et colère envers tout et tout le monde. Voilà 6 mois, voire 15 mois car cela dure en réalité depuis que je suis tombée enceinte, que Mila exige de moi un temps plein au détriment de mes propres besoins et de ceux de ma famille. Heureusement, la lumière apparait un peu plus depuis quelques semaines, le tunnel se fait moins sombre même si je suis toujours dedans. J’apprends à faire le deuil de ces instants avec Mila que j’aurais voulu différents. J’apprends à me battre contre cette tempête qui m’a submergée depuis le jour où je suis tombée enceinte. J’apprends à me dire qu'elle est, somme toute, un beau bébé souriant qui est juste très intense dans ses besoins. J’apprends à lui donner tout ce que je peux en espérant que cela lui suffise. J’apprends à avoir une autre relation avec mon trio d’amour qui souffre de la situation ainsi qu’avec mon mari. J’apprends à installer une autre stabilité à notre vie de famille.


Ces mots, aussi durs soient-ils, je les exprimerai également à ma fille lorsqu’elle aura l’âge de comprendre. Pas pour la culpabiliser ou la rendre mal à l’aise mais pour lui faire comprendre que chaque expérience maternelle est différente mais que l’amour d’une mère lui, est le même pour chacun de ses enfants. Un amour profond et inconditionnel. Je t’aime ma Milalou, que ce soit à 6 mois ou à 30 ans tu resteras toujours ma fille pour qui je ressens une vague d’amour incommensurable.


Bientôt, je l’espère, je pourrais enfin profiter de mon trio devenu quatuor d’amour avec un grand sourire aux lèvres. En attendant j'espère que ce témoignage parlera à d'autres mères et qu'elles se sentiront moins seules dans leur souffrance.





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