top of page

Le deuil

  • Photo du rédacteur: Johanna Zazoun
    Johanna Zazoun
  • 20 janv. 2020
  • 12 min de lecture

ree

Quel cauchemar que cette année 2019. Cela devait être mon année, celle de la naissance de mon troisième enfant, mon fils, celle où je pars de Rishon Letsion en vue d’offrir une meilleure qualité de vie pour mes enfants, celle où je décide de rester à la maison encore une fois en vue d’une meilleure vie pour mes enfants, celle où avec mon mari nous devions continuer sur notre lancée avec toujours plus de défis mais tout est entaché depuis ce lundi 21 janvier. Personne n’aurait pu me préparer au tsunami qui a dévasté ma vie, personne n’aurait pu me dire à quel point ce serait dur de vivre sans sa mère. Personne n’aurait pu me prévenir que je risquais de faire très souvent des cauchemars où j’assistais aux Shiv’ah de mon petit frère, où ma mère était en vie mais pas mon père, où je perdais mon bébé. Mais personne n’aurait pu non plus me dire à quel point cela ferait le ménage autour de moi et que je n’aurais au final que très peu de personnes à qui me confier.



*21 janvier 2019*

Tout semble irréel: l’odeur aseptisé de l’hôpital, la famille qui sanglote, l’heure même semble indue. J’ai l’habitude d’être au lit à cette heure ci, pas de flotter dans un brouillard. Je vois le corps. Je n’y crois pas. Je ne veux pas y croire. Maman? Maman ne me laisse pas seule. Maman je suis enceinte je ne peux pas avoir ce bébé sans toi.



*Les premiers jours*

Certaines choses sont si douloureuses que le cerveau se fige. Il refuse d’enregistrer ce qui se passe. Les Shiv'ah sont extrêmement difficiles. Je sens qu’on ne me laisse pas gérer cette nouvelle comme je le souhaite, je me dois de tout partager jusqu’à cette douleur immense. Les visites ne s’arrêtent pas, de même que les questions à la limite de l’indécence pour certains. Je regarde sans voir, j’entends sans écouter, je suis là sans être là. Je ne réalise pas encore que pourtant, je suis entourée de ceux qui vont être le plus à même de me comprendre.



*Les premières semaines*

Depuis ce 21 janvier je suis apathique. Ma mère est partie pour un long voyage, elle a toujours rêvé de découvrir le monde. C’est mon seul moyen de traverser cette épreuve, je me lève le matin, je m’occupe des filles puis toute la journée j’alimente mon cerveau de mensonges, cela marche jusqu’à un certain point. Jusqu’à ce que ma fille me pose des questions sur sa grand-mère, jusqu’à ce que je parle à mon père. Ou jusqu’à ce que je croise le regard de ma mère sur une photo, là c’est l’électrochoc, je ne peux plus respirer. Je suis sous une vague qui me submerge et je suis incapable de nager pour m’en sortir. Je détourne la tête et me dépêche de penser à autre chose.


Alors que j’étais extrêmement bien entourée la première semaine un vide s’est créé ensuite, sans crier garde, sans prévenir. Une semaine d’appels et de messages incessants puis les “je vais venir te voir je te tiens au courant” se sont succédés. Seulement les visites n’ont jamais eu lieu et encore moins les appels. Je me suis posée beaucoup de questions, je me suis insurgée et puis finalement après un certain temps je me suis dit que c’est un mal pour un bien. Marre de faire semblant, marre de prétendre, marre de porter un masque pour vous faire plaisir les rares fois où je vous croise par hasard. Savez-vous qu’on me demande si je vais mieux ou comment ça se passe j'ai l'impression d'être malade du cancer et que je subis un traitement lourd. Non je ne suis pas malade mais j’ai enterré ma mère, j’ai littéralement mis de la terre sur son corps et dit adieu à une partie de moi-même.


Les excuses que vous me donnez ne sont que des leurres, ils vous permettent de vous regarder dans le miroir et de vous donner bonne conscience, pensez-vous que je sois dupe?Je me fiche que vous ameniez votre amie subir un avortement (2 semaines après l’enterrement), que ça se passe mal au travail pour vous (1 semaine après l’enterrement), que vous allez exposer vos œuvres (1 mois après l’enterrement), que vous êtes fatigués en ce moment et j’en passe des meilleurs. Mon empathie diminue au fur et à mesure que votre égocentrisme grandit. A la rigueur disparaissez de ma vie mais en silence plutôt que de tenter de vous justifier. Je suis trop entière pour passer outre, pour trouver des excuses. Le deuil n’est pas une maladie contagieuse, ce n’est pas un virus que vous risquez d’attraper si je vous éternue dessus. De quoi avez-vous peur? Pourquoi fuyez vous ainsi?


Quel dommage que la plupart ne comprenne pas qu’il n’y a pas de bons mots, pas de bons gestes, parfois le silence est plus réconfortant que n’importe quelle phrase toute prête sans aucune signification particulière. Parfois simplement tendre un mouchoir est plus réconfortant qu’un regard empli de pitié et peur. Avouons le et surtout avouez le à vous même le deuil fait peur. Il y a un temps imparti pour pleurer la personne disparue, généralement vous nous octroyez quelques jours, jusqu’à la fin des funérailles. Vous pleurez avec nous, vous vous insurgez avec nous, vous prenez les choses en charge puis pour vous c’est bon. Les morts ont leur place dans un cimetière, comme vous dites la vie continue, la lumière brille toujours, il faut se relever encore plus fort. Impossible pour vous de comprendre qu’un trou béant s’est ouvert sous nos pieds et que tenter d’avancer un tant soit peu demande des efforts aussi bien psychologiques que physiques. Les premiers temps lorsque je me réveillais j’avais l’impression qu’on m’avait roué de coups, la seule chose qui m’aidait à me lever du lit était que je portais la vie en moi et que cette vie se faisait sentir, un signe certainement. A seulement 5 semaines de grossesse je ne devais pas encore me sentir dans cet état mais mon bébé en avait décidé autrement. Si je n’arrivais pas à me lever et à poser un sourire sur mon visage pour mes filles et mon mari, j’arrivais malgré tout à sortir du lit pour cette vie qui m’obligeait à voir la réalité en face, je suis en vie et je dois le rester.



*Les premiers mois*

La vie est une drôle de blague. Je n’aurais même pas eu le temps de me remettre du choc de la mort de ma mère que l’état de mon grand père se détériore. Je ne suis pas la petite fille idéale pourtant j’ai dans ma tête la fameuse phrase de ma mère “je l’aime bien c’est un gentil lui”. C’est vrai qu’il est gentil ce papy, je me souviens quand il m’envoyait chercher les journaux en bas de chez lui, quand il faisait des blagues, quand ma grand mère me disait “il aime la rue celui là, comme ta mère qui est une vraie fille des rues, ils font la paire”. Les derniers jours je vais le voir tous les jours. Et puis c’est le seder de Pessah, le premier Pessah sans ma mère. C’est très dur, heureusement la famille Sitruk est avec nous. Je laisse Tael dormir chez mon père. Lorsque j’arrive le lendemain, jour de fête et jour de shabbat, je vois mon père parler au téléphone je comprends que l’heure est grave. Je jette mes affaires par terre et je vais voir mon grand père. Sa dernière journée, ses dernières heures. Cette fois je vois la mort arriver. J’ai l’impression que là je peux dire adieu à mon papy et à ma mère. Pour elle je n’ai rien voulu voir venir, je me rattrape. Toutes ces choses que j’aurais voulu lui dire je lui dis à lui. Et surtout je lui dis de ne pas s’inquiéter car ma mère l’attend et qu’entre elle et tonton Maurice ça va être la fête. Je ne le quitte pas beaucoup malgré l’odeur omniprésente de la mort, malgré les “vas te reposer tu es enceinte”. C’est avec ma cousine qu’on parle aux ambulanciers et qu’on insiste pour qu’il reste à la maison, c’est à moi de traduire pour ma grand mère car c’est elle la personne responsable de mon grand père. A moi d’insister à 4 reprises pour m’assurer qu’elle comprend que c’est fini, que s’il reste à la maison il n’y en a que pour quelques heures. Et puis en fin d’après midi je m’absente pour une simple demie heure. Aller chercher mes filles chez ma tante Cécile, établir un plan pour la suite. C’est pendant cette très courte demie heure que mon papy décide de partir. Classe jusqu’à la fin il aura attendu que la femme enceinte ne soit pas là pour rendre son dernier souffle. De nouveau le deuil entre dans la famille. Enterrement, prières, Shiv'ah. Je décide de faire un emploi du temps pour les repas et la présence de la famille. Je ne veux pas que mon père, mes oncles et tantes et ma grand mère soient seuls un instant, pas eux dont l’amour et le soutien m’aident depuis le début.


Et puis on dit jamais deux sans trois non? Alors que je la voyais comme une femme forte ma grand mère s’éteint peu à peu. Je ne l’avais absolument pas vu venir. Je mange avec elle seulement deux jours avant de partir pour San Francisco, respirer un peu loin de tout ça. Je me rappelle comment alors qu’on est tous assis au Café Lyon elle nous aura tous fait nous lever parce que la seule chose qu’elle voulait manger était “un petit hamburger”. Je nous revois encore nous excuser auprès du serveur. Je me rappelle lui avoir dit “au revoir mamie t’inquiètes dès que je rentre je viens te voir et je fais attention au petit poisson”. Seulement c’était la dernière fois où je la voyais. Je me suis envolée pour San Francisco et elle est décédée quelques jours après.


Alors que pour ma mère au moins vous m’avez envoyé des messages de condoléances pour mon grand père vous vous êtes contentés de “liker” mon message Facebook je ne vous parle pas de votre absence totale de ma vie lorsque ma grand mère est décédée.


*Après six mois*

Certaines personnes sur lesquelles je pensais compter ont soit totalement disparu de ma vie soit décidé de faire un tabou de la mort de ma mère. On me dit qu’elles sont gênées sauf qu’à force de tourner autour du pot cela crée un malaise car on annihile ma douleur, on annihile une partie de moi car je suis une boule de douleur malgré le fait que je sois debout. Je comprends ce que les livres décrivent comme “la colère contre les autres”, personnellement je ne vous en veux pas de vivre votre vie, ce n’est pas votre mère qui est morte, je vous en veux du fait que vous préfériez vous cacher pour ensuite revenir dans ma vie comme si de rien n’était. Vous pensez certainement que les choses se sont “tassées”, que vous pouvez papoter de tout et de rien sans que cela soit inapproprié. Sauf que c’est faux. Quand littéralement après 9 mois d’absence certains reviennent dans ma vie et veulent me voir là j’explose et je remets les gens à leur place. La mort est un sujet tabou pour vous seulement j’ai une voix, j’ai une souffrance à exprimer. Je ne peux pas me taire car vous avez peur, je ne peux pas entrer dans le moule de “ravale tes larmes la vie continue” car cela vous arrange de prétendre que tout va bien et que la vie reprenne son cours. Alors je ne pardonne pas l’absence et pour le coup, au lieu de laisser couler je préfère vous le dire comme je l’ai dit à plusieurs personnes jusqu’à présent. Je suis sans rancune mais je ne peux pas passer outre. J’espère au moins que cela vous donne sujet à réflexion et que vous ne laisserez pas tomber la prochaine personne à avoir besoin de vous.


La vie est une longue route sur laquelle nous trouvons des champs de mines et des champs de fleurs. Les personnes que nous rencontrons au cours de nos années sur terre sont destinés à nous aider à traverser les dits champs. Il y en a qui ne seront là que pour admirer la couleur des roses tandis que d’autres vous porteront à bout de bras pour vous permettre de traverser les mines sans dégât.


La phase de l’Après a commencé ce 21 janvier 2019. Il y a un avant et un après. Il y a ceux qui le comprennent et ceux qui ne le comprennent pas. Comme deux clans distincts. J’aurais préféré rester dans celui de ceux qui ne savent pas, de ceux qui tentent de comprendre et d’aider mais sans y arriver. Maintenant il me suffit d’un regard, d’un silence pour comprendre que la personne en face de moi me comprend. C’est comme une sorte de société secrète dont malheureusement le rite d’initiation vous détruit à tout jamais. Ce serait illusoire de dire qu’un jour tout redeviendra normal, on apprend à continuer, à ne plus retenir sa respiration devant une photo ou un souvenir mais peu importe, il y aura toujours un manque en nous. Même 5, 15, 30 ans après. Oui la mort fait partie de la vie mais perdre un être cher c’est perdre un bout de soi. Perdre un parent c’est perdre un pan de sa vie. La vie se constitue de plusieurs étapes, ceux qui sont dans le clan des ignorants pensent qu’il s’agit des étapes physiques telles que enfance, adolescence etc. Non il s’agit d’étapes psychologiques, de celles qui façonnent l’être humain que nous sommes. Les épreuves douloureuses que nous passons nous modèlent, nous insufflent un nouveau souffle, nous transforment à tout jamais. Je ne suis plus cette trentenaire joyeuse et qui est d’une nature cool. Je suis plus posée, heureuse mais avec une réserve qui s’est installée depuis que j’ai compris que la vie n’est qu’un long fil tendu au dessus du vide et que nous avançons à tâtons en tentant de garder notre équilibre.


La mort met fin à la vie mais on peut rester en relation, c’est ce que je tente de faire à travers l’écriture. Certains diraient que c’est une manière pour moi de faire mon deuil mais c’est plutôt une manière pour moi de sortir ma colère afin de ne pas polluer mon cœur de rancune, d’incompréhension envers le monde. D’ailleurs j'abhorre cette expression “faire son deuil”! Qu’est ce que cela veut dire? N’est ce pas encore une invention du clan de ceux qui ne savent pas afin de justifier notre état? Combien de fois ai je entendu ces mots? “Alors tu as pu faire ton deuil?”, “peut être que ça t’aidera à faire ton deuil” ou mieux encore les regards qui trahissent ces paroles “elle n’est pas vraiment en colère contre moi elle fait juste son deuil”. Avancer dans la vie après un traumatisme tel que la mort d’un parent ne veut pas dire faire son deuil, ce n’est pas une pensée à écrire sur sa check-list, ce n’est pas comme si on allait se dire “tiens ça fait 6 mois que je ne me suis pas mise à sangloter sans raison, top je peux faire une croix à côté de faire son deuil”. Tout simplement on vit, on survit, on avance pas à pas dans un monde nouveau, sans les repères acquis depuis la naissance.



*Après un an*

Il est inutile d'être nostalgique au moment des adieux, je ne le suis donc pas. Je vous remercie pour ces quelques mois, quelques années d’amitié. Cela dit comme ma mère je suis trop entière pour me contenter de peu, j’ai besoin d’une vraie relation, de celle qui ne se contente pas de reposer sur des beaux souvenirs. Heureusement dans ce cauchemar où j’ai plongé j’ai pu compter sur de belles personnes. Belles dans le sens où elles m’ont fait du bien et permis de me montrer telle que je suis. Merci aux Haguit, Julia, Caroline, Sarai, Léa, Amélie et j’en oublie certainement qui m’ont croisé sur le chemin et se sont arrếtées. Parfois cela aura été le temps d’une journée, parfois de vraies amitiés se sont créées, parfois ce sont des messages échangés où on se livre comme jamais ou parfois tout simplement c’est une amitié renouvelée. Le temps passe, les semaines, les mois, bientôt ce sera des années… Chacun oublie, chacun se laisse à nouveau entraîner dans le flot de sa propre existence. La douleur qu’on ressent ne s’arrête jamais de croître, au contraire elle est sans fin seulement elle perd petit à petit son caractère public. Elle devient plus profonde, plus intime, plus cachée…Toutes ces personnes que j’ai cité m’ont permis de l’exprimer et je les en remercie.


Depuis la mort de ma mère je ne me rappelle pas de mes souvenirs je les revisite avec un esprit et des sentiments nouveaux. Ce qui fait mal est de continuer de se créer des souvenirs en famille, avec mon père et mes frères et de savoir qu’elle ne les partagera pas. Quand on perd un être cher on pleure ce qui n’est plus mais surtout ce qui ne sera plus. Ma mère me manque tous les jours et me manquera chaque jour de mon existence. Cela fait un an qu’elle ne partage plus mon quotidien, mes peines, mes joies. Elle ne connaîtra jamais mon fils, je ne peux qu’imaginer qu’elle me dirait “c’est un beau bébé et en plus celui là il est gentil et souriant comme toi, on pouvait te réveiller au milieu de la nuit et tu nous accueillais avec un grand sourire”. Je t’assure maman que celui là aussi il t’accueille avec des sourires, c’est un bébé tout doux. Comme s’il savait que c’était de ça dont j’avais besoin cette année. Tu me disais que j’étais née pendant l’année de ta mère, que tu pleurais beaucoup pendant ta grossesse et que j’étais un bébé facile. Si tu savais! Si tu savais comment j’entends ta voix qui me dit “la vie n’est qu’un éternel recommencement ma fille”. Il est né pendant ton année, qu’est ce que j’ai pu pleurer pendant cette grossesse et c’est un bébé très facile.


Un an a passé depuis ce fameux coup de fil qui a changé ma vie. Mais qu’est ce qu’un an au regard de toutes ces années à venir? Peu importe l'âge qu'on a lorsqu'on perd un parent, peu importe que ce soit subit ou à la suite d'une longue maladie on devient orphelin. On ressent un vide immense que rien ni personne ne peut combler pas même notre conjoint ou nos enfants.


J’apprends désormais à vivre sans pouvoir prononcer ces cinq lettres, ce mot que chaque enfant apprend à dire avec des étoiles dans les yeux: maman. Pour moi il résonnera dans le vide à tout jamais. Plus personne pour me répondre “oui ma fille”.

1 commentaire


stephanesettbon
21 janv. 2020

johanna j’espere qu un jour on aura l’occasion de se voir. Tu écris très bien, tellement bien que tu arrives a nous faire ressentir tous tes etats. Je connaissais un peu ta mere et je n’oublierais jamais qu’elle avait fait le trajet de Ashdod a beth shemesh en Israel pour venir me consoler car j’enterrais ma maryline. Tu t en rends compte j etais dans le brouillard manque de sommeil me retrouve le lendemain en Israel dans un cimetiere et je vois en face de moi ta mere. Je me rap plus de ce qu on s est dit je sais que je lui ai presenter muriel ma femme qu elle n avait pas revu depuis notre mariage en 19…

J'aime

© 2023 by The Book Lover. Proudly created with Wix.com

bottom of page